(peut-être est-il important de rappeler que ceci est une opinion personnelle, fruit d’une traversée unique, d’expériences et de témoignages)
« Oui, quelques nausées, mais ça reste gérable »
« Rachida Dati a repris le boulot quasiment le lendemain »
« Ne l’oublie pas. Vous restez des amants, en plus de parents »
« Il a fait ses nuits au bout de 3 jours à la maison »
« Il a fait ses nuits au bout d’une semaine à la maison »
« Il ne mange que des légumes bio, qu’on lui mixe. Suffit de faire des gamelles. Simple »
« Pas d’écran avant ses trois ans »
Dans le genre phrases toutes faites, on excelle.
On excelle pour présenter la parentalité sous le jour le plus positif qui soit, que ce soit dans les repas de famille, sur les réseaux sociaux et même entre amis proches. Peut-être – avec l’exemple des enfants – une manière inconsciente d’inciter la société à se reproduire, coûte que coûte.
Nous sommes dans une dynamique de vente de sa marque personnelle, où toute la place est accordée aux vacances parfaites, avec les meilleurs filtres sur les photos, prises au bord des plus parfaites plages, avec des cocktails et plats tous plus appétissants les uns que les autres.
Le couple est heureux et soudé.
L’enfant est bien peigné pour visiter cette exposition ludo-scientifique « vraiment très enrichissante » à la Cité des Sciences.
Personne n’est réellement dupe, on connaît tous nos propres travers, ce que signifie la mise en scène de notre quotidien, parfois monotone, parfois routinier. Q.u.o.t.i.d.i.e.n.
Cependant, je persiste à croire qu’il y a une forme de sanctuarisation autour de la parentalité car, au bénéfice du doute qu’on laisse aux autres sur la santé de nos couples, de nos qualités humaines ou de nos différentes formes d’éveil (par le sport, la culture, la sociabilité), il serait beaucoup plus complexe que, comme pour un chemin ultime de la stabilité, l’enfant trônerait comme une forme d’aboutissement. Un couple n’accueillerait un enfant qu’à partir du moment où sa stabilité morale, financière, professionnelle serait adéquate et que, par dessus tout, nous serions des modèles de parents, puisque nous transmettons des acquis. Nulle place à l’expérimentation, au doute, encore moins à la contre-performance. « L’enfant accidentel » est marqué du fer rouge, on lui prédit une thérapie longue et douloureuse au tournant de l’adolescence, à l’opposé, l’enfant attendu comme le messie, fruit d’un parcours douloureux (qu’il soit celui de l’adoption ou des fécondations in vitro) portera sur lui le poids du sacrifice, du don parental.
J’ai entendu cet ami me dire que sa petite sautait sur ses genoux avec plaisir, que son couple était d’autant plus soudé, que les loisirs partagés à trois étaient désormais encore plus gratifiants qu’à deux. Une forme de « couple amélioré ». Pourquoi serais-je plus réceptif à ce discours, alors même qu’il épouse les mêmes accents davantage polissés que ceux que j’entendais que son couple se désintégrait, mais que « tout [allait] à merveille, avec un voyage au Laos de prévu en amoureux, pour rebâtir ».
Messieurs, assistez à un cours d’accouchement ou deux. Je pense que vous apprendrez peut-être un peu plus de l’anatomie de votre compagne. Vous recueilleriez avec surprise tous les témoignages féminins sur la perception de la grossesse. Avec un peu de chances, vous vous retrouveriez assis à côté d’autres hommes, qui partageraient également leurs craintes (la mort est omniprésente). Les bases; qu’est-ce qu’être un bon père ? Vais-je assumer ? Pourquoi ressens-je un poids, alors que je ne suis pas rempli de liquide amniotique ? Vais-je regretter un avant ? Quels égoïsmes vais-je devoir sacrifier pour laisser place à un, deux… trois enfants ?
Les accouchements sont, au pire très longs, jamais exprimés dans les termes crus qui sont le reflet d’une spécificité de quelques pays, dont la France; un pays qui laisse surchargées les ailes obstétriques, où les femmes, chargées jusqu’à la gueule d’antalgiques ne doivent pas trop se gratter le cathéter et surtout ne pas trop dégueuler dans les rares haricots en carton d’un hôpital en ruine (malgré la « maternité de niveau 3 »), où les anesthésistes sautent de chambre en chambre, où les maïeuticien·ne·s et aide-soignant·e·s qui ont des cernes si profondes qu’elle semblent vous dire que c’est la dernière garde de leurs vies.
Un système médical tellement à l’abandon qui exclue, de facto, toutes velléités maternelles d’accoucher dans des positions plus agréables, dites « physiologiques » (accroupies ou de côté, par exemple). Il ne faudrait surtout pas que les femmes aient leur mot à dire, qu’elles restent à hauteur de visage pour le diplômé en médecine (de toute manière, pas spécialement formé pour), les pieds dans les étriers. Le/La médecin aurait à se casser le dos, mais pire que tout, casser ses habitudes, puis le temps n’est pas à ça. Il faut être rentable dans l’hôpital public.
Messieurs, discutez avec votre compagne. Il n’est nulle obligation d’assister à cette boucherie (« absolument magnifique ») qu’est l’accouchement, où les médecins signeront au final les papiers après que tout le boulot a été fait par le staff sensiblement moins diplômé mais ô combien plus compétent en pratique. J’ai recueilli des témoignages de potes complètement déboussolés, car « il fallait y être […] c’est le rôle d’un homme ». Foutaises ! N’allez pas brûler à l’essence votre libido, vous confronter à un truc qui vous traumatisera à vie.
La série-reportage « Baby boom » fait hurler des spécialistes du métier.
Dans le sens contraire, messieurs, expliquez-moi à quel moment vous pensiez que de sortir votre caméscope 4K était nécessaire, pour prendre en gros plan l’intimité de votre femme ? Son corps est déjà devenu un « bien commun », dont la bedaine aura appartenu à la famille et aux amis, leurs mains parcourant les arrondis, sans parler des témoignages nombreux sur les maltraitances médicales.
Que vous y soyez confrontés ou pas, vous pourrez peut-être bénéficier d’un « peau à peau » avec votre lardon. Et ça, c’est plutôt une sensation pas désagréable.
Le genre de soirées où vous croiserez peut-être le regard hagard de certaines femmes, errant comme des zombies dans les couloirs, parce que le show n’a pas encore commencé. Le genre de soirée où vous entendrez ce que la douleur peut impliquer dans les chambres voisines.
Puis, peut-être que votre compagne subira le fait qu’en l’espace de cinq heures après la venue au monde, sa chambre de douze mètres carrés se transforme en une gare centrale de grande agglomération, puisque toute la famille – « c’est culturel » – s’octroie le droit de venir défiler comme à la parade, prendre des photos, subira un « t’es palote, quand même, t’as pas faim ? J’te ramène des boissons fraîches et un veau orloff ». Qu’importe qu’elle ait ou non les sutures encore douloureuses, une chute hormonale accompagnant des pensées noires, qu’elle se sente « enfin » mère (et vous aussi, père, hein ?).
C’est la grande croyance, c’est l’aboutissement. Comme tout le monde s’accorde à le dire, « c’est le plus beau jour de ma vie », enfin, ça l’est pour Sylvain, Cynthia et Dylan, Nadia, à chaque enfant. C’est donc une vérité universelle ? Il n’y a rien de plus haut. Vous n’avez pas le choix, c’est VOTRE jour le plus beau. Pour quelle enflure passeriez-vous si vous veniez à dire que le plus beau jour de votre vie est cette demande en mariage dans l’Hérault. C’est l’enfant. Sans enfant, vous n’êtes pas accompli·e, il est le prolongement d’une vie correctement ordonnée, car il suit souvent (moins ?) cette normalité qu’est le mariage, cette évidence d’habiter ensemble, cette injonction d’être en couple. Vous seriez profondément quelqu’un d’anormal à ne pas vouloir être en couple, après tout ?
Les femmes souffrent dans leurs chairs, les deux souffrent dans leurs esprits. Il serait absolument inconscient, avant un premier enfant en tout cas, d’affirmer qu’on est prêt.
Que le Dieu des jeux vidéo m’en soit témoin, j’ai eu l’envie d’un enfant, la nature m’a accordé ce présent. J’ai une pensée pour celles et ceux qui triment à vouloir sans pouvoir, à subir les énièmes pressions familiales, parfois même le déshonneur (voire l’abandon par le/la conjoint·e) lorsque ça n’est pas possible, pas désiré.
Une fois là…
Une personne normalement constituée ne peut s’accommoder de nuits autant fractionnées pendant plusieurs semaines, mois.
Messieurs, si vous vous mêlez un peu de la chose (utilisons un peu des termes comme « parentalité », « charge mentale » et autres termes dits progressistes), vous allez vous manier le cul pour assumer. Qu’importe que vous ayez fait STAPS ou non, que vous soyez septième dan de Yoga, vous allez roter du sang en voulant coucher la progéniture, certains soirs, vous arrêterez d’aller sur des sites coquins, oui, vous allez taper votre première « vasectomie » dans Google, pour savoir comment ça se passe.
Vous allez puer des mains, vous allez puer tout court. Vous allez kiffer, c’est aussi une possibilité à envisager, mais le mur, qu’il soit en béton ou en plastique, vous allez le prendre de plein fouet.
Si vous êtes un bel enfoiré, vous direz à vos potes que tout est « OK », que c’est « un peu de fatigue, ouais […] t’es au radar au boulot, quoi », que ça soude votre couple l’arrivée de l’enfant.
Ne mentez pas, s’il vous plaît.
Ne faites pas culpabiliser ceux qui n’ont pas d’enfant, ni en les enjoignant (même poliment) à pondre coûte que coûte, avec les poncifs du genre « on ne sait jamais, c’est un saut dans l’inconnu, mais on s’en sort ». Ça n’est pas toujours le cas.
L’enfant n’est pas toujours une finalité pour tout le monde et ne devrait surtout pas être un moyen de réparer vos propres défauts.
À moins d’un relais familial fantastique, il vous coûtera probablement un bras, des crises de nerf, beaucoup d’angoisse, probablement de très belles choses, aussi.
Post-Scriptum
Deux ans après avoir bricolé ce texte, j’ai retrouvé un peu d’énergie pour le terminer et le publier, je me dis qu’un enfant à l’approche de la quarantaine n’est pas la même expérience qu’un enfant conçu dans la force de l’âge, que l’avenir psychique des parents est toujours incertain (des potes se séparent, d’autres se re-soudent), qu’il y a – c’est vrai – de très belles choses à vivre, pour peu que les planètes s’alignent.
Et encore une pensée à deux profils qui me tiennent à cœur (+ bonus) :
- Force à toi qui, repas de famille après repas de famille appuie ton désir de ne pas en avoir
- Force à toi qui essaie tant que tu peux d’en avoir
- Sauvez l’hôpital public
Merci pour ce beau texte rempli d’émotions, d’humour, de réalité.
Merci de proposer ce point de vue du père qui manque parfois, sans censure.
Et merci de penser à ceux qui, peut être, ne vivront jamais ce moment et ceux qui l’ont vécu différemment.
PS : continue Bro t’es trop fort <3
Il me semble que si l’accouchement est une boucherie, la présence du père est indispensable pour soutenir la mère et la protéger de cette « boucherie »… Si c’est traumatisant pour vous, imaginer ce que cela peut être pour la femme. Et puis, est ce que la libido des hommes ne peut pas être en pause de temps en temps ? Le corps de l’homme peut aussi aider celui de la femme dans les moments importants. L’accouchement en est un…
Bien cordialement,
Sophie
J’ai totalement conscience (ou si peu, justement) de ce que pourrait représenter la douleur de l’accouchement. C’est bien le propos.
Je pense que la présence se discute, car il arrive que certaines femmes ne souhaitent pas mais que l’homme souhaite, l’inverse également. Toutes les configurations sont possibles et ça doit se discuter.
J’ai parlé d’un point de vue masculin, il va de soi que – bien souvent – la libido de la femme peut être bousillée par la grossesse et ses « péripéties ». J’ai abordé d’un œil totalement subjectif, masculin-cis…
Enfin, n’ayant pas voulu parler précisément de MON cas, je pense qu’il est également possible d’accompagner, dans son rôle de géniteur, à divers moments (et pas que dans la dernière ligne droite).